"J'ai eu un coup de foudre au milieu de l'océan"
- Ajouter un nouveau défi à ma liste
- Mon esprit voulait plus
- "Je n’avais jamais rencontré un être comme lui"
- Du mal à redescendre sur terre
- J’ai cru à une crise de la quarantaine mais c’était autre chose
- Beaucoup de sacrifices pour ne pas tout faire imploser
- Aujourd’hui, je sais que je suis à ma place
« La météo marine avait annoncé des alizés instables, sur le moment, je n’y ai pas prêté attention. Cela signifiait juste que la transatlantique, celle dont j’avais rêvé depuis si longtemps, serait plus longue que prévu.
Nous étions cinq équipiers prêts à partir à bord de ce beau voilier des années 70 en aluminium. Romain, le capitaine, Magali, sa seconde, mon père, mon oncle et moi. Des Canaries, cent cinquante navires s’apprêtaient à rallier avec nous les Antilles.
Pour notre équipage, pas question de « faire un temps » ni de chercher à se classer avec ce 13,50 m, nous étions là pour profiter et apprendre, c’était avant tout un projet familial. Pour trouver un bateau, je suis passée par le site bourse-aux-equipiers.com, qui met en relation des propriétaires de navire avec des amateurs voulant naviguer.
Et puis, Romain m’a répondu.
Ajouter un nouveau défi à ma liste
J’ai toujours aimé la mer mais je suis plutôt une fille terrienne, une petite Versaillaise issue d’un milieu bourgeois. D’ailleurs, au moment de l’inscription, je vivais en Angleterre, à Londres. Les vagues sont loin, on ne les sent pas.
Vers 9, 10 ans, je me souviens avoir pris des cours de voile en Bretagne puis d’avoir navigué aux Antilles. J’ai adoré les étés passés à faire du voilier en Corse ou aux îles Grenadine.
À cette période-là de ma vie, je croyais que j’étais simplement en train d’ajouter un nouveau défi à ma longue liste.
Mon grand-père, un industriel fortuné, avait la chance d’être propriétaire d’un voilier. Mon père avait navigué avec lui mais il n’avait jamais traversé l’Atlantique. Ce voyage, c’était aussi un cadeau pour lui.
C’est tout ça que j’ai voulu retrouver avec cette traversée, j’ignorais qu’elle allait aussi me faire faire un bond immense dans l’inconnu. À cette période-là de ma vie, je croyais que j’étais simplement en train d’ajouter un nouveau défi à ma longue liste.
Le dernier en date : courir le marathon d’Amsterdam le long des canaux. Les courses, je les enchaînais ces derniers mois.
Mon esprit voulait plus
À 38 ans, j’étais en pleine forme physique mais mon esprit en voulait plus. D’ailleurs, je commençais à m’ennuyer sévère dans mon travail.
À l’époque, j’étais directrice de communication d’un cabinet d’architecture. Cela faisait cinq ans que nous vivions à Londres avec mon mari. À l’origine, nous devions y rester seulement trois ans. Lui travaillait dans la production audiovisuelle, nous habitions le quartier huppé de Hackney. On gagnait bien notre vie, de vrais expats comme cette ville en compte tant.
Avec deux beaux enfants en prime, une fille de 5 ans et un garçon de 8 ans. Mais j’avais besoin d’évasion. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de démissionner pour faire une transat. Mon mari comprenait, il m’a laissé faire. C’était un pari, un de plus. Autour de moi, tout le monde semblait impressionné, pas moi, je ne faisais pas gaffe.
« Je n’avais jamais rencontré un être comme lui »
Les premiers jours de la traversée, je m’appliquais à bien suivre les consignes du capitaine et de Magali, la seconde.
Je suis du genre bonne élève et, sur un bateau, on ne badine pas avec les règles. Fin novembre, la traversée est calme, pas de tempête sauf une nuit où la mer s’est levée avec le grain. Je me suis laissée porter, j’aspirais la mer, les embruns. Au large, on ressent plus les choses, c’était comme un long trip de MDMA, mes sens étaient ouverts.
Romain était très pro, très amical avec nous, il venait souvent nous demander de nos nouvelles. C’était un très bel homme, avec une vraie gueule, cultivé, toujours entre Paris et son voilier autour du monde.
Il avait dix-huit ans de plus que moi mais ne les faisait absolument pas. Il m’impressionnait, je n’avais jamais rencontré un être comme lui. Un jour, alors que je me reposais dans la couchette, il est venu me demander comment ça allait en me prenant dans ses bras. “Ça va aller”, m’a-t-il dit, mais il y avait autre chose dans cette étreinte, je le sentais.
Du mal à redescendre sur terre
On s’entendait très bien, on riait beaucoup, on a commencé à faire nos quarts de nuit ensemble, on parlait des heures sous le ciel étoilé. Les autres l’ont remarqué, Magali nous appelait “Tic et Tac”.
La traversée a duré vingt-quatre jours et notre complicité n’a cessé de s’amplifier. Il me disait que j’étais son “âme sœur”. À mesure que nous approchions de l’arrivée, je comprenais que la situation allait se compliquer. Il n’y a pas eu d’amour physique entre nous, ce n’était pas le sujet, mais ce coup de foudre, cette intensité entre nous risquaient de disparaître.
J’étais dévastée de devoir quitter Romain et je me sentais coupable de ressentir quelque chose d’aussi fort.
À l’arrivée en Martinique, j’étais tétanisée, je ne pouvais pas “redescendre sur terre”. Habituellement, toute transat s’achève par un gueuleton mais j’ai séché. J’étais dévastée de devoir quitter Romain et je me sentais coupable de ressentir quelque chose d’aussi fort.
Chacun est reparti de son côté. Je me disais : ne t’inquiète pas, c’est juste la mer que tu aimes en lui. Du coup, je me suis consacrée à elle, je me suis mise à travailler en freelance tout en apprenant à faire de la voile, j’ai commencé à passer le brevet Yachtmaster près de l’île de Wight, j’ai fait des régates. Nous nous sommes écrits pour tenter de “redescendre” puis nous nous sommes revus brièvement.
À l’évidence, notre histoire était sans issue.
J’ai cru à une crise de la quarantaine mais c’était autre chose
Six mois plus tard, alors que j’étais en mer pendant une course, je reçois un appel : il vient de se séparer ! Nous avons fini par nous voir à Paris et là, nous avons passé une soirée et une nuit merveilleuses. C’était le signal, je m’étais donnée à lui, plus rien ne serait comme avant.
En quinze ans, je n’avais jamais trompé mon mari et pour moi, il était hors de question de vivre avec un amant dans le placard. Pourtant, il nous a fallu, pendant quelques mois, entretenir une relation cachée, moi à Londres, lui par monts et par vaux.
J’avais cru à une passade, à une crise de la quarantaine, à un simple amour en mer mais c’était autre chose.
Au mois de septembre, soit neuf mois après la traversée, j’ai tout raconté à mon mari. Il avait vu que j’avais changé, que j’étais loin et malheureuse. Il a fallu s’organiser entre Paris et Londres une semaine sur deux.
Beaucoup de sacrifices pour ne pas tout faire imploser
À l’époque, mon psy m’a beaucoup aidée, il me comprenait d’autant mieux que lui aussi vivait entre les deux villes. J’étais encore assaillie par le doute car je mettais l’équilibre familial en péril.
En voyant mon état, ma mère s’est aperçue que quelque chose clochait et elle m’a dit de “cracher ma Valda”, ce que j’ai fait. En septembre 2021, j’ai imposé que toute la famille rentre en France, les enfants avaient 8 et 11 ans, ils n’avaient jamais vécu en France, la transition allait être difficile.
Nous sommes tous partis pour Marseille, je me suis installée avec Romain dans les Calanques, on se connaissait maintenant depuis deux ans.
Entre-temps, mon mari s’était mis en ménage avec une de ses amies de longue date. Il ne faut pas se leurrer : ce qui aujourd’hui semble romantique sur le papier nous a fait souffrir pendant des années.
Il y a eu beaucoup de sacrifices, chacun a déployé une énergie considérable pour ne pas tout faire imploser.
Aujourd’hui, je sais que je suis à ma place
Cette histoire a aussi laissé des traces dans notre communauté d’expats et chez nos amis d’enfance. Certains n’ont pas compris, ils se sont sentis menacés par ma liberté.
Avec le temps, mon ex-mari est devenu comme mon frère. Aujourd’hui, on s’aime d’une autre façon. Au cours des prochains mois, Romain et moi, on partira en voilier avec les enfants autour du monde. Nous avons aussi un petit bateau à moteur, je vais en mer dès que je peux.
Tous les jours, je la vois à ma fenêtre et je sais que je suis à ma place. »
Vous souhaitez raconter votre histoire ? Envoyez-nous un résumé par e-mail. Contact : [email protected]
Témoignage publié dans le magazine Marie Claire n°847, avril 2023
Source: Lire L’Article Complet