« Les Filles de Romorantin » : Nassira El Moaddem signe un saisissant portrait de la France d'aujourd'hui
Dans « Les Filles de Romorantin », la journaliste Nassira El Moaddem enquête sur la ville qui l’a vue grandir. L’ouvrage en dit long sur les fractures françaises.
Adolescente, Nassira El Moaddem s’ennuyait ferme à Romorantin, sous-préfecture de Loir-et-Cher (17 900 habitants). Alors elle a quitté la ville, fait de brillantes études (Sciences-Po, ESJ Lille), est devenue journaliste à Paris. Mais Romorantin traînait dans un coin de sa tête. Un jour, en 2018, elle y est retournée, a retrouvé son amie d’enfance, Caroline, qui était devenue ouvrière et avait enfilé un gilet jaune. C’est ce retour aux sources que Nassira El Moaddem, 35 ans, raconte dans « Les Filles de Romorantin » (éd. L’Iconoclaste), un ouvrage original qui mêle le récit intime et le reportage documentaire, offrant un saisissant portrait de la France d’aujourd’hui : paupérisation de la population, divorce entre les élites et le peuple, désertification du centre des petites villes… Nassira y exprime la culpabilité de celle qui est partie, qui a connu une certaine réussite sociale. « On éprouve toujours un sentiment d’imposture, dit-elle. En plus, j’ai quitté Romorantin en 2003, au moment où la ville était frappée par la fermeture de l’usine Matra qui faisait vivre toute la région et où travaillait mon père. Cela ajoutait à ma mauvaise conscience. » À travers le portrait de sa copine Caroline, on comprend le désespoir qui peut habiter un gilet jaune. Caroline a beau travailler en usine à plein temps, elle ne peut pas se payer le plus petit plaisir, un resto, un ciné, ne peut même pas utiliser sa voiture le week-end faute d’essence… Une existence totalement bloquée, isolée. « J’ai été révoltée par la situation que j’ai découverte. Le pouvoir d’achat a beaucoup baissé par rapport à celui qu’a connu mon père, ouvrier dans les années 1980 et 1990. » À l’écouter parler avec passion, on comprend que son problème n’est pas d’être une femme coincée entre son identité marocaine et française, mais plutôt entre « Romo » et Paris. « Il faut en finir avec les clichés. On oppose toujours les petits Blancs de la périphérie et la population métissée des banlieues. Mais il y a aussi des immigrés ruraux. Moi-même, je suis un empilement d’identités, à la fois française, marocaine, fille d’Erasmus, provinciale, parisienne. Et surtout romorantinaise. » À la lire, on se dit que Romorantin, c’est bien. Pas seulement une ville dont le nom rime avec ennui ou isolement. C’est aussi une ville qui a façonné une personne comme Nassira El Moaddem, et cela, c’est porteur d’espoir.
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Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 18 octobre 2019. Abonnez-vous
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