Pourquoi la robe rouge de "La Servante écarlate" est-elle le nouveau symbole des féministes ?

Aux États-Unis, en Argentine, ou encore au Royaume-Uni, de plus en plus de manifestantes féministes portent la robe rouge et le bonnet blanc des servantes écarlates de la série de OCS. Cette tenue a réussi à transcender les combats, jusqu’à devenir un nouvel outil politique.

Le 10 juin, Kylie Jenner partage à ses abonnés Snapchat la surprise qu’elle a organisée pour l’anniversaire d’une de ses amies : une soirée à thème The Handmaid’s Tale. En français, La Servante écarlate. Les invités portent les costumes de la série éponyme, qui est adaptée d’un roman de Margaret Atwood, et dont la saison 3 est actuellement diffusée sur OCS en France, avec Elisabeth Moss dans le rôle principal.

Publiée en 1985, cette dystopie imagine les Américaines fertiles réduites à l’état d’esclaves reproductives, dans une dictature religieuse et militaire nommée Gilead. Ces femmes capables d’enfanter deviennent des « servantes écarlates », assignées à différentes familles aisées, en besoin d’enfant. Pour les démarquer, elles portent toutes la même tenue : une robe rouge allant jusqu’aux chevilles, couvrant leurs bras, et un chapeau plongeant, qui cache leur visage, dès qu’elles mettent le nez dehors. 

Si la surprise de Kylie Jenner fait bondir de joie son amie, les images de serveuses déguisées en servantes écarlates ou en Marthas (des domestiques de Gilead), ont suscité un tollé parmi de nombreux partisans des causes féministes.

« Vu ce qu’il se passe aux États-Unis en ce moment, comment a-t-elle pu ? », se demandent certains, alors que le droit à l’avortement est attaqué dans plusieurs États du pays. Une indignation qui révèle le poids politique de cette série. Jusqu’aux vêtements des personnages, dont les féministes se sont emparées ces deux dernières années, hors écran.

Des points rouges 

La première occurrence a lieu en mars 2017, au Texas et dans le Missouri. Des « servantes écarlates » pénètrent à l’intérieur de capitols, antennes du Congrès américain dans les différentes États du pays. À cette époque, le gouvernement Trump veut faire en sorte que la couverture médicale publique ne prenne plus en charge l’accès aux services de Planned Parenthood, organisme américain public défendant les droits des femmes en matière de sexualité. 

Le mouvement se poursuit en 2018. Durant l’été, des « servantes écarlates » défilent en Argentine, où l’accès à l’IVG n’est toujours pas légalisé. En septembre, le juge Brett Kavanaugh, alors nommé à la Cour suprême américaine, est auditionné, parce qu’il est accusé de viol par une ancienne camarade d’université. Des « servantes écarlates » se tiennent à l’extérieur de la salle d’audience. Ces derniers mois, c’est en Alabama que la robe rouge portée par Elisabeth Moss dans la série de Hulu est plusieurs fois apparue. Là encore, pour défendre le droit à l’IVG. 

Il est à la fois le symbole de l’oppression, et de la possibilité d’une libération si on agit ensemble.

« Ce costume, inventé par la série, est devenu une représentation reconnaissable pour tout le monde, observe Iris Brey, spécialiste de la représentation des femmes dans les séries, auteure de Sex and the Series (Éditions de l’Olivier, 2016). Ce vêtement symbolise plein de choses : la puissance du rouge sang, et le chapeau blanc qui les empêche de regarder autour d’elles. Il est à la fois le symbole de l’oppression, et de la possibilité d’une libération si on agit ensemble. » Ce que sous-entend la saison 3, où la rumeur d’un réseau secret de « résistance » se répand comme une traînée de poudre.

Un nouvel outil politique

Pour Iris Brey, cette tenue rouge et blanche est « un outil politique », incarnant une nouvelle forme de sororité. « On a envie de voir une marée de femmes la porter, pas juste une seule d’entre elles, remarque la chercheuse. Quand elles s’alignent, c’est extrêmement puissant. » Dans la saison 3, le personnage de June remarque ainsi que côte-à-côte, en marchant dans la neige, les servantes écarlates ont l’air d’autant de gouttes de sang. Visibles, effrayantes. 

Dans les manifestations, on manque de slogans, de chansons, de tenues.

Son côté visuel, à l’impact fort, et sa portée universelle, puisque les combats pour les droits des femmes doivent encore être menés partout, à différentes échelles, ont rendu la tenue des servantes écarlates incontournable : « Si ça devient un outil marketing, ça montre bien qu’on en a besoin !, insiste Iris Brey. Il y a très peu de symboles de la lutte contre le patriarcat. Dans les manifestations, on manque de slogans, de chansons, de tenues. C’est une arme politique populaire, dont la force est que tout le monde la comprend. »  

Une puissance de frappe révolutionnaire.

Lorsque des manifestantes se rendent dans un lieu de pouvoir, majoritairement dominé par des vieux hommes blancs, déguisées en servantes écarlates, le contraste est implacable et le message clair : « Gardez votre politique répressive loin de nos corps ». La robe rouge incarne désormais la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps.

Pour Iris Brey, c’est l’une des premières séries à réussir à avoir une telle influence : « Le streaming lui donne une portée mondiale. Elle a une puissance de frappe révolutionnaire. » En 2018, La Servante écarlate devient la première série diffusée en streaming à remporter le Golden Globe de la Meilleure série dramatique de l’année. 

Quand réalité et fiction se mélangent

Contre toute attente, Donald Trump est élu à la Maison blanche le 8 novembre 2016. Le 26 avril 2017, La Servante écarlate débarque sur les écrans américains, et crée une secousse sans précédent. Le sort de ces femmes, violées, exploitées, torturées à longueur d’épisode, émeut d’autant plus que le nouveau président des États-Unis est misogyne, accusé d’une quinzaine de viols, et s’est vanté d' »attraper des femmes par la chatte ».

Pour Iris Brey, il ne faudrait pas y voir une coïncidence étonnante : « L’adaptation à la télévision de La Servante écarlate dormait dans des cartons depuis longtemps. Les séries disent quelque chose de notre culture, et de notre politique. » La série a su capter l’ère du temps, qui basculé avec l’élection de Trump.

Les producteurs de la série, dont fait partie l’auteure du roman original, ont bien conscience de leur influence. Face à ces nuées de « servantes écarlates » menant des actions à travers le monde, le marketing de la série a été adapté en conséquence.

« Réveille-toi, l’Amérique »

Un teaser de la saison 3, diffusé durant la très regardée finale du SuperBowl, montre ainsi les femmes de Gilead, servantes, Marthas, ou esclaves dans les colonies. « C’est un jour comme un autre en Amérique », annonce June (Elisabeth Moss). « Plus de femmes iront travailler aujourd’hui que durant toute la jeune histoire de notre pays ». La vidéo se termine par un plan de l’immense National Mall à Washington, symbole du pouvoir politique américain, recouvert de servantes écarlates. Un slogan : « Réveille-toi, l’Amérique. »

Ces images glaçantes interpellent d’autant plus que, « dans la vraie vie », une trentaine de militantes de Planned Parenthood avait défilé devant le Capitole, en juin 2017, contre la réforme de la santé mentionnée plus haut.

Et lorsque la réalité rejoint la fiction, cela peut créer des confusions. Le jour où la production de La Servante écarlate a filmé 200 figurantes en robe rouge, à ce même endroit, pour la saison 3, en février 2019, les passants peinaient à savoir s’il s’agissait de la série, ou d’une nouvelle manifestation, rapporte une journaliste de KH News

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